Michel, le magicien de la mécanique marine, était mon ami. Le seul que j’ai jamais eu. La mer m’a donné des camarades, des affections qui s’enflammaient vite, mais s’éloignaient de même au gré du courant. Des amitiés à la Polynésienne comme disait Gus, sans l’ombre d’une ironie. Il vantait la sagesse d’une lignée de grands voyageurs qui s’ouvrent à ceux qui passent... Sur les petites îles polynésiennes, vous serez accueillis par des cadeaux. Ne proposez jamais d’argent ni de pourboire, ce serait une insulte. Ils vous offriront leur meilleure image, ils se montreront tolérants pour vos manies d’étranger. Ils partageront avec vous leur pêche, leur musique. Ils vous pleureront en vous offrant des colliers de coquillages lorsque vous lèverez l’ancre. Mais personne n’enfermera votre souvenir dans son cœur comme dans un coffre-fort. Aucune lettre ne prolongera l’agonie des bons moments partagés.
       
           
   
             
 
Sitôt rentré dans ma cellule je replongeais dans un autre monde. Je mettais toutes mes forces, toute ma concentration à me transporter sur la Marie-Vaillante, à composer chaque jour le tableau d’une nouvelle navigation plus vraie que le réel. Cela commençait par un détail sur lequel je me concentrais jusqu’à l’hypnose. Je restais parfaitement immobile sur mon lit. La plus infime parcelle de souvenir pouvait servir d’accroche à un vagabondage… Une vague s’enhardit jusqu’au rail de fargues pour déposer son écume pleine de vie sur le pont en teck. Il fait beau, la Marie-Vaillante se gouverne seule et file à plus de sept nœuds. Je m’agenouille à la proue, un léger brouillard s’échappe de la houle fendue par l’étrave, les rayons du soleil s’y décomposent comme un arc-en-ciel…

 
 
 
Laurence n’est pas une équipière repoussante avec ses cheveux blonds bouclés, sa peau dorée, ses yeux verts cloués sur un visage étroit et ses épaules de marin. Mais sur un voilier elle vous met mal à l’aise. Vous bordez le génois, elle passe après vous pour le choquer et la Marie-Vaillante gagne un quart de nœud. Vous lui demandez de larguer un ris. Elle ne se presse pas et le vent forcit. Arrivé au port, vous disparaissez dans le grand coffre pour
Chercher votre échelle de corde. Lorsque vous refaites surface, elle s’est déjà hissée en haut du mât, comme un singe. A côté d’une telle équipière, je ne me reconnais plus de sens marin. Elle accepte un doigt de ti’punch le soir au coucher du soleil, mais lorsque je m’offre un supplément jusqu’à ras bord, elle fronce les sourcils. Elle soutient mordicus que mes nœuds de grappin ne sont que des nœuds de cabestan.